Qohélet

-250

L’Ecclésiaste, c’est-à-dire :
le Prêcheur.

traduction de 1555
par Sébastien Castellion
dîte
« la Bible pour les idiots »

hurlus.fr, 2021, license cc.

« je n’entends pas ces quatre »1

L’Ecclésiaste (ou Qohélet en hébreu), « qui parle à la foule », est un livre très lu de la Bible, bien qu’il puisse sembler nihiliste et épicurien. Il a été écrit après −250, en période hellénistique où l’orient baignait dans la culture grecque, donc en contact avec les philosophies stoïciennes ou épicuriennes. Les morales juives ou chrétiennes y trouvent une inspiration, mais ce texte ne leur appartient pas, il mérite d’être lu comme un philosophe antique qui continue à nous instruire, même si nous ne partageons plus ses conditions de vie et ses croyance. Le livre est donné ici dans une traduction méconnue de 1555, dite « la Bible des idiots », par Sébastien Castellion (1515–1563), un humaniste et réformé de la Renaissance, compagnon un moment de Calvin, puis persécuté par lui.

Conclusion, quand tout est dit,
crains Dieu, et garde ses commandements :
car c’est le devoir de tous hommes.

Car de toute œuvre, tant soit secrète, Dieu en fera rendre compte,
soit bonne soit mauvaise. (Eccl.12.13-14)

Pessimisme

Ce texte propose une philosophie pessimiste, répétant selon la traduction traditionnelle : tout est vain, tout n’est que vanité (Castellion traduit autrement). Le plaisir aussi est donc vain, puisqu’il faut mourir. Le juif dit par exemple qu’il vaut mieux un enfant mort-né, qui n’a rien à regretter, qu’un homme chargé d’ans, d’enfants, et de biens, car il finira pareil et la mort lui sera plus dure (6.3-6).

Épicure (–341…–270) lui répond par anticipation, l’argument devait être courant à l’époque, dans la lettre à Ménécée : « Bien pire encore celui qui dit qu’il est beau de “n’être pas né”. Car, s’il est convaincu de ce qu’il dit, comment se fait-il qu’il ne quitte pas la vie ? Cela est tout à fait en son pouvoir, s’il y est fermement décidé. »2.

Le philosophe grec présuppose une morale de la détermination rationnelle, pour les maîtres, mais vaut-elle vraiment pour tous ? D’abord, on a le droit d’être lâche et incohérent ; ensuite, on peut aimer se plaindre ou désespérer les autres, c’est pour certains une raison de vivre, quand bien même elle soit peu enviable ; et enfin, si l’on craint Dieu, tuer soi ou d’autres, c’est pêcher contre la Vie. Ainsi même pour des chrétiens, à qui Dieu est amour mais pas à craindre, se conduire selon sa seule raison personnelle, c’est perdre le soutien de plus haut et mieux que soi dans l’adversité, pour aller jusqu’au bout de la tâche que l’on croit porter. Se libérer des dieux autorise le plaisir, mais en fait perdre les consolations et secours moraux.

Qohélet pose comme vérité première qu’un dieu unique existe, et que sa perfection nous juge, comme une personne supérieure peut nous faire honte. Si cette proposition est prise au sérieux, pas seulement sur son lit de mort comme les catholiques, alors même le « rire ce n’est autre chose qu’être hors du sens (2.2) », et il faudra payer pour nos errements ici-bas.

Jouis de ta jeunesse, jouvenceau,
et te donne de bon temps tandis que tu es jeune,
et mène un tel train que requiert le souhait de ton cœur,
ou le regard de tes yeux :
mais sache que de tout cela Dieu t’en fera rendre compte. (Eccl.11.9)

En nous rappelant à nos devoirs, Dieu rend la vie morne.

Mieux vaut ouïr tancer un sage,
que chanter un fol. (Eccl.7.5)

Épicurisme

Il arrive cependant ailleurs que Qohélet ne soit pas aussi négatif sur les plaisirs de la vie. Il se peut que l’on cherche ici une cohérence qui n’est pas aussi clairement articulée dans le texte, Qohélet se dit lui-même éplucheur et compilateur de pensées des sages (12.9-11), la composition ne semble pas suivre un développement. Mais parce que cette cohérence a été cherchée pendant des siècles, elle est maintenant dans le texte. Quand bien même Qohélet ne serait qu’une chimère de compilateur, désormais il existe comme une pensée personnelle. Ainsi, les incohérences apparentes du texte nous invitent à réfléchir.

Il n’y a autre bien en l’homme que de manger et boire,
et se donner du bon temps en son travail,
laquelle chose je vois bien qu’elle vient aussi de Dieu (Eccl.2,24)

Qohélet n’interdit pas de boire le vin, il ne promeut pas une prohibition puritaine dans l’espoir de nous faire devenir des anges, contrairement à Calvin, ou aux intégristes musulmans qui reconnaissent pourtant la Bible comme leur livre. Le sage juif insiste sur une nuance qui vaut bien l’Avare de Molière (« il faut manger pour vivre et non vivre pour manger ») : « manger à l’heure qu’il faut, pour reprendre ses forces, et non pour boire (10.17) », ainsi le riche qui ne travaille pas mange trop et dort mal (5.1). Le prêcheur a une morale du plaisir mérité. Boire au matin, et manger pour boire plus, n’est pas un commandement de Dieu, et d’ailleurs nuit à la santé ; boire doit être une récompense après le travail, où il n’est pas interdit et même souhaité de prendre plaisir. Car si Dieu a tout créé, pourquoi aurait-il fait le vin si ce n’est pas pour nous faire plaisir ? Le mal n’est pas dans la chose mais son usage.

« D’avantage si deux couchent ensemble, ils s’échauffent : mais un comment s’échauffera-t-il ? (4.11) », « Passe le temps avec ta bien aimée (9.9) » conseille même Qohélet. Il n’invite pas à l’adultère avec la femme des autres, car ce serait contre un commandement donné à Moïse, mais le plaisir fidèle n’est pas interdit, et même encouragé. Sa société était alors conjugale et monogame. Qohélet cherche la paix avec les autres et avec sa conscience. Enfin « se donner du bon temps en son travail », car « Dieu prend plaisir en tes œuvres (9.7) », c’est une morale de travailleur3, un Grec n’y aurait pas pensé.

Épicure avait des esclaves et ne propose sa morale du bonheur que pour des oisifs qui cherchent un régime, une règle, un équilibre propice à la santé du corps et au calme de l’âme : « du pain d’orge et de l’eau donnent le plaisir extrême, lorsqu’on les porte à sa bouche dans le besoin »4. Il conseillera la diète aux riches, mais il ne trouve pas cette joie plus grande du repos après le travail.

Fortune et Providence

Qui prend garde au vent ne sème point :
et qui regarde les nuées, ne moissonne point. (Eccl.11.4)

La morale de Qohélet s’appuie sur une métaphysique, en tous cas une conception du temps, que l’on comprendra plus finement par contraste avec Épicure. Le grec écrit : « Il faut encore se rappeler que l’avenir n’est ni tout à fait nôtre ni tout à fait non-nôtre, afin que nous ne l’attendions pas à coup sûr comme devant être, ni n’en désespérions comme devant absolument ne pas être ». On retrouve la distinction stoïcienne entre ce qui dépend de nous (l’avenir qui est mien) et ce sur quoi nous ne pouvons rien et dont il ne faudrait pas s’affecter. Épicure poursuit contre ceux qui croient au hasard, ou au destin, alors que l’on ne peut rien en conclure.

Qohélet prend aussi la mesure de notre ignorance de l’avenir et le formule dans une image concrète et paysanne : sème sans craindre le vent, moissonne même si les nuages menacent (on verra). Ce qui lui est cher ne dépend pas de lui, il n’a pas de propriété sur laquelle se replier contre les revers de la fortune, il doit prendre ce qui vient et s’abandonne à l’Inconnu, à la Providence.

De cette ignorance du futur, Épicure tire une conclusion virile et aristocratique. Il est inutile de craindre la mort, puisque nous ne savons pas son heure ; et qu’avant, nous sommes vivants ; et qu’après, nous n’y sommes plus. Qohélet partage les prémisses, « les hommes ne savent point leur temps (9.12) » ; mais pas la conclusion.

Épicure a une conception très abstraite du temps, comme s’il était une suite d’instants qui ne durent pas, qui ne pèsent pas plus qu’ils ne s’accumulent. S’il est si difficile de se convaincre de ses raisons, c’est que dans notre chair est inscrite cette peur panique de sa disparition, la fièvre de se reproduire, de se survivre. Qohélet, comme le reste de la Bible d’ailleurs, aime les enfants, il désespère de voir s’épuiser des personnes dont les héritiers ne sont pas venus.

« je vois sous le soleil une chose qui rien ne vaut […] tel qui est tout seul sans hoir [héritier …] qui néanmoins ne cesse jamais de travailler (4.8) »

Le philosophe grec ne parle pas plus du travail que des enfants. Le temps de la moisson, des naissances, attache Qohélet à un monde qui lui est cher, dont il se sent une partie, il n’est pas un homme seul cherchant l’indépendance à l’égard de la Fortune, il aime le monde de toute sa chair, la mort est nécessairement un arrachement. Ce qu’il pleure au fond, est la beauté de la vie, dont il voudrait qu’elle soit vaine si elle est sans lui, mais les générations passent et la terre dure (1.4).

La Conspiration

Parmi les formules plus répétées, comme rien ne vaut rien, il en est une plus équivoque, traduite par la TOB (2010) en « tout est vanité et poursuite de vent », et par Sacy (1667) en « tout est vanité et affliction d’esprit ». Vent ou esprit ? Qui se trompe ? Le vent résulte pour nous d’une différence de pression dans l’atmosphère, mais que pouvait-il signifier alors ? Il n’était pas irrationnel de penser que le souffle du ciel participait du même mystère que celui de la vie. L’hésitation des traducteurs entre sens abstrait ou concret concerne un même mot hébreu, rū·aḥ, que Chouraki (1974) traduit de manière conséquente partout par souffle, ainsi dans 12.7 : « La poussière retourne à la terre comme elle était, et le souffle retourne vers Elohîms qui l’a donné… » Le monde de Qohélet conspire, les corps et la terre reçoivent leur souffle de Dieu.

La théologie païenne est par principe, multiple. Les dieux jouent et s’affrontent sur terre et dans l’humanité. Les gens sont inégaux, le peuple a peur de la colère des dieux, il soudoie des prêtres pour essayer d’être en paix avec eux, Épicure propose une solution rationnelle qui est la nôtre aujourd’hui : le monde n’est qu’un ensemble d’atomes qui s’entrechoquent selon les lois de la matière. Prier n’amène pas la pluie. C’est à cette condition de séparation radicale de l’âme d’avec les choses que le sage trouve une paix entre ses éléments, comme un bouchon trouve une flottaison sur une mer agitée.

Si notre science donne maintenant raison à Épicure, Kant écrivait encore en 1790 dans la Critique de la Faculté de Juger qu’il est « absurde d’espérer qu’il surgira un jour quelque Newton qui pourrait faire comprendre ne serait-ce que la production d’un brin d’herbe ». Nous l’avons maintenant, avec Darwin et la génétique, mais Épicure n’expliquait déjà pas l’inertie du mouvement, c’était un acte de foi assez fou de croire que le souffle de la vie et la pensée ne tenait qu’à des atomes qui se choquent. Qohélet a désormais tort, mais il était plus raisonnable qu’Épicure. La théologie d’un Dieu unique qui ne se laisse pas acheter par les prières lui évitait les superstitions que combattaient Épicure, sans perdre l’âme du monde dans une soupe mécanique d’atomes.

Selon cette perspective, l’Église a eu raison de condamner Galilée, moins à cause du soleil comme centre du monde que du principe d’inertie qui assure l’éternité du mouvement des planètes sans l’action de Dieu, si bien que le monde peut très bien ne pas avoir été créé, comme celui d’Épicure. Si Galilée est vrai, alors La Bible est fausse ; les philosophes antiques ne sont plus les égarés du premier cercle des enfers selon Dante, c’est Qohélet et les pères de l’Église qu’il faut mettre aux enfers des erreurs de la science. Il est de coutume aujourd’hui de se moquer des inquisiteurs qui n’auraient rien compris à Galilée. Ils avaient au contraire mesuré les conséquences sociales de ses vérités, comme ils l’avaient fait par le passé à l’égard des différentes hérésies élitistes et sectaires. Le paysan pouvait faire corps avec Qohélet, vibrer des mêmes joies et désespoirs, du souffle qui descend dans l’enfant au ventre de la mère (11.5) ou qui ramène les nuages qui menacent la moisson (11.4). Dans le monde froid de la science, seuls les meilleurs savent, et les autres qui essaient de suivre ne peuvent qu’obéir ou s’inventer des théories plus sentimentales mais fausses.

Pour conclure

Lire Qohélet, c’est se convaincre que l’on ne peut absolument plus croire à son Dieu, nous ne sentons plus son monde pneumatique de souffles ; mais nous aimerions trouver une sagesse aussi humaine, et compatible avec notre physique de mécanique et d’information. Mais de même, nous ne voulons pas de la société d’Épicure, de sages calmes par-dessus les passions et l’histoire, ne cherchant au fond qu’un petit confort égoïste assez vain, qui apporte peu au monde ; nous voudrions cette paix mais dans l’action. Nos vies ressemblent plus à celle de Qohélet, avec si possible une famille, des enfants, un travail utile aux autres et où on se réalise, et des congés pour se réunir et banqueter ensemble. Peu importe que ce soit ou pas un don de Dieu, c’est en tous cas une joie de la vie. Plus on sera heureux dans la vie, plus on sera malheureux de la quitter, c’est peut-être dans l’ordre des choses, tant pis, il faudra pleurer, mais pour qui se lamenter est un problème ? Sans doute pour un Grec élitiste et viriliste.

Castellion

Ce n’est pas seulement par goût pour sa langue que Qohélet est donné ici dans la traduction de Castellion (1515, Savoie – 1563, Bâle). Pour mieux connaître cet érudit, on peut lire Stefan Zweig, une Conscience contre la violence : Castellion contre Calvin. Après avoir traduit la Bible en latin pour les doctes, Castellion a voulu donner un texte en français « pour les idiots » (selon ses propres mots) ; pour être le livre de toutes les familles. Mais cette traduction de 1555 est maudite.

Castellion est issu de paysans pauvres et arrive à faire des études à Lyon où il découvre l’humanisme classique. Il sait le grec et lira Épicure. En 1534, Luther traduit la Bible pour la première fois dans une langue vulgaire, son allemand, depuis l’hébreu original et non le latin de la Vulgate officielle de l’Église. Castellion est alors pris de la fièvre de son époque, il rejoint Calvin en 1540, il est excommunié de Genève en 1544, parce qu’il défend que le Cantique des Cantiques n’est pas une pure allégorie de Dieu et son Église, c’est une véritable histoire d’amour charnel qui déplaît fort au puritain Calvin.

Castellion ne veut rien perdre des leçons de l’humanisme païen, comme par exemple Rabelais, tout en cherchant un humanisme chrétien authentique, tel qu’il est dans les textes. Il a réussi à faire paraître sa Bible en 1555 à Bâle, mais attaqué par l’Église catholique, ainsi que les calvinistes, et n’ayant pas écrit en néerlandais pour intéresser la Hollande (qui a relu et parfois imprimé son latin contre les puritains), cette traduction n’a été rééditée au complet qu’en 20055, 450 ans après. Cette édition est d’ailleurs introuvable en 2020, cette Bible est maudite. Remercions heureusement ce siècle numérique, une version de 1555 a été numérisée par Google.

Cette édition

Le texte donné ici a été établi sur l’imprimé original, et modernisé pour nous rendre la langue plus familière. À l’époque, l’orthographe n’était pas fixée, chaque imprimeur ou auteur pouvait chercher la sienne. Celle de Castellion était très proche de la nôtre, et même un peu plus régulière. Par exemple il écrivait notre il est avec un accent circonflexe, « il êt », comme dans forêt ; ou bien la conjonction et comme en espagnol, « e », puisque le t ne se prononce jamais, même en liaison.

Dans chaque détail, ce traducteur met de l’intelligence. Il ajoute très peu de notes, dont l’appel se fait avant ce qu’il veut éclairer, comme pour préparer le lecteur par une information ; par contre il évite ces surcharges marginales des catholiques ou des calvinistes qui ensevelissent la parole de Dieu sous leurs commentaires pour que le lecteur lisent bien leur dogme et pas le texte. Vouloir absolument que les prophètes annoncent déjà le Christ ou l’Église, ou combattent l’épicurisme et le nihilisme, c’est pour le moins construire un Qohélet parallèle.

Castellion pense que la parole de Dieu parle toute seule, ou alors elle ne vaut pas d’être crue. Ses remarques très brèves sont parfois lumineuses, tranchant dans des siècles de contradictions rabbiniques ou de reformulations charitables des chrétiens, par exemple en 12.2-5.


Ce qui s’adressait aux idiots d’hier garde un sel populaire mais demande tout de même un petit effort aujourd’hui. L’éditeur a ajouté quelques notes de vocabulaire (appels en a, b, c…). Les versets sont numérotés comme de nos jours, les passages à la ligne sont repris de la TOB, assurant que Castellion a scrupuleusement suivi le découpage à l’intérieur des versets de l’hébreu, à la réserve de quelques rares inversions pouvant s’expliquer par le texte qu’il avait à l’époque.

Une note de bas de page en 12.6 nous rend son scrupule définitivement attachant : « je n’entends pas ces quatre » (divisions qui font un verset). L’Église ou Calvin auraient-ils osé dire qu’ils ne comprenaient pas la Bible, alors qu’ils s’instituaient les interprètes de la « parole de Dieu » sur terre ? Castellion est par ailleurs lumineux en bien des endroits, donnant des leçons encore retenues, il a quelques faiblesses, elles sont rares. Sa traduction est une école de probité intellectuelle. Il montre ce qu’est comprendre simplement sans se payer de mots obscurs. Ce n’est pas facile de de s’adresser aux « idiots », il faut beaucoup travailler pour être simple. C’est une joie de notre siècle numérique de pouvoir venger Castellion de Calvin6, et le donner gratuitement.

Eccl.1

1 Les paroles du prêcheur fils de David roi de Jérusalem.


2Tout ne vaut rien, dit le prêcheur,
tout ne vaut rien, tout ne vaut du tout rien.

*

3Que gagne l’homme
par toute la peine qu’il prend sous le soleil ?

4L’âge s’en va, et l’âge vienta,
et la terre demeure toujours.

5Le soleil lève, et le soleil couche
et ahane pour aller au lieu même où il est levé.

6Il s’en va contre le midi, et retourne contre la bise :
le vent s’en va tout alentour,
et retourne le même vent à son tour.

7Toutes rivières vont en la mer,
et si n’est pas la mer pleine :
au même lieu que vont les rivières,
elles y re-vont derechef.

8Toutes choses sont si difficiles, qu’homme ne les saurait déchiffrer.
L’œil n’est jamais soul de voir,
ni l’oreille pleine d’ouïr.

9Ce qui a été, sera :
et ce qui a été fait, sera fait,
et n’y a rien de nouveau sous le soleil.


10Il y a telle chose
qu’on montre comme nouvelle,
laquelle toutefois a déjà été au temps passé, qui a été devant nous.

11Il n’est mémoire des passés :
et même de ceux qui sont à venir,
il n’en sera mémoire
vers ceux qui seront après.

*

12Moi prêcheur, qui suis roi d’Israël en Jérusalem,

13ai appliqué mon entendement à examiner et éplucherb par sagesse
tout ce qui se fait sous le ciel
(voila une mauvaise fâcherie, que Dieu a donnée
à la race des hommes pour les tourmenter)

14et en considérant toutes les choses qui se font sous le soleil,
j’ai trouvé que tout ne vaut rien, et n’est qu’un tourment d’espritc,

15vu qu’il y a tant de choses gâtées, que c’est chose inamendable :
et tant de fautes, que c’est chose infinie.


16J’ai quelquefois pensé en ma fantaisie :
Or-ça, je suis un grand personnage, et ai plus acquis de sagesse,
que tous ceux qui ont été devant moi en Jérusalem,
et ai en mon cœur la connaissance de beaucoup de sagesse et science.

17Mais quand j’appliquai mon entendement à connaître tant la sagesse
que la folie et sottise,
j’ai entendu que ce n’était encore qu’une fâcherie d’espritd.

18Car tant de sagesse, tant de chagrin :
et qui plus apprend, plus se tourmente.

Eccl.2

1Je vins une fois à penser ainsi :
Or-ça, il me faut prendre mes plaisirs, et me donner de bon temps :
mais je trouvai que cela ne vaut encore rien,

2tellement que j’étais contraint de dire, que de rire ce n’est autre chose qu’être hors du sens :
et que plaisir ne sert de rien.

3Je délibérais en ma fantaisie
d’abandonner mon corps à boiree
(sans toutefois laisser de pratiquer sagesse en mon cœur)
et m’appliquer à folie,
jusqu’à tant que je verrais où gît le bien de la race des hommes,
lequel ils doivent pourchasser sous le ciel
tout le temps de leur vie.


4Je fis des œuvres magnifiques :
me bâtis des maisons : plantais vignes :

5fis jardins et vergers,
et y plantai toutes sortes d’arbres fruitiers.

6Je fis des étangs,
pour abreuver un bocage planté d’arbres.

7J’achetai serviteurs et servantes, et non seulement eu ménage,
mais même eu plus de bestiaux, tant gros que menu,
que tous ceux qui devant moi avaient été en Jérusalem.

8J’amassai aussi argent et or,
et chevancef de rois et provinces.
Je fis provision de chantres et chanteresses,
et des passe-temps de la race des hommes, échansons et tasses :

9et devins si grand,
que j’avais plus que personne de ceux qui furent devant moi en Jérusalem, retenant néanmoins ma sagesse.


10Item de tout ce que mes yeux souhaitaient, je ne leur refusais rien,
et n’épargnais à mon cœur plaisir quelconque,
mais le laissait jouir de tout mon travail,
et voila que me valait tout mon travail.

11Mais en contemplant toutes les œuvres
que j’avais maniées,
et la peine que j’avais prise à les faire,
je trouvais que tout n’est rien qu’une fâcherie d’espritg,
et que sous le soleil n’y a rien qui vaille.

*

12Donc quand je me mis à considérer
tant sagesse que folie et sottise
(car 1y a-t-il homme qui puisse seconder le roi,
depuis qu’il a été fait roi ?)


13j’aperçus bien
que sagesse est d’autant plus excellente que folie,
que la lumière est plus excellente que les ténèbres.

14Le sage a des yeux en la tête
et le fol chemine en ténèbres.
Mais aussi sais-je bien qu’il en prendra à tous à l’un comme à l’autre :

15et pourtant je faisais ainsi mon compte :
Puis qu’il m’adviendra tout ainsi qu’à un fol,
à quoi me sert d’être de tant plus sage ?
Si concluait en mon courage, que cela ne vaut encore rien.


16Car non plus d’un sage que d’un fol,
la mémoire n’est perdurable,
attendu que toutes choses, tant passées qu’à venir, viennent en oubli,
et qu’aussi bien meurt sage que fol.


17Et pourtant hais-je la vie 
tant me déplaisent les choses qui se font sous le soleil,
pour-autant qu’elles ne valent toutes rien, et ne sont qu’une fâcherie d’esprith.


18Aussi hais-je tout ce que par mon travail j’ai fait sous le soleil
ce que je laisserai à celui qui viendra après moi.

19Et qui sait si celui sera sage ou fol,
qui sera maître de tout ce que j’ai,
avec tant de peine et sagesse, acquis sous le soleil ?
Dont voyant que cela ne valait encore rien,


20je suis venu à avoir en dédain
tout ce que j’avais acquis sous le soleil par travail et sagesse.

21Car il y en a tel qui travaille
avec sagesse et science et devoir,
qui laisse son avoir à tel qui n’y a point pris peine :
qui est une chose fort mauvaise et qui rien ne vaut.


22Car que sert à un homme
tout le travail et fâcherie d’espriti
qu’il endure sous le soleil,

23vu qu’il ne fait toute sa vie que souffrir peine et tourment
chagrigneux,
tellement que son cœur ne repose pas même la nuit ?
ce qui ne vaut encore rien.


24Il n’y a autre bien en l’homme que de manger et boire,
et se donner du bon temps en son travail,
laquelle chose je vois bien qu’elle vient aussi de Dieu


25(car 2qui est celui qui puisse plus manger ou gourmander que moi ?)

26vu qu’aux hommes, qui lui plaisent, il donne sagesse, science et plaisir,
et aux mal-vivants donne le tourment d’assembler et amasser pour donner à ceux qui plaisent à Dieu.
Ceci n’est encore rien qui vaille, et n’est qu’une fâcherie d’espritj.

Eccl.3

1Toutes choses ont leur saison,
et tout ce qui plaît sous le ciel, à son temps.

2Il y a temps de naître, et temps de mourir :
temps de planter, et temps d’arracher ce qui est planté :

3temps de tuer, et temps de guérir :
temps de débâtir, et temps de bâtir :


4temps de pleurer, et temps de rire :
temps de mener deuil, et temps de danser :

5temps de jeter pierres, et temps d’amasser pierres :
temps d’embrasser, et temps de s’en garder :

6temps d’acquérir, et temps de perdre :
temps de garder, et temps de jeter en voie :

7temps de coudre, et temps de découdre :
temps de se taire, et temps de parler :

8temps d’aimer, et temps de haïr :
temps de guerre, et temps de paix.

9Que vaut le travail à un qui fait quelque chose ?


10Je vois le méchefk que Dieu a donné
à la race des hommes pour les tourmenter.

11Il fait bien tout en son temps,
et leur a tellement mis la viel au cœur,
que3 depuis le commencement jusqu’à la fin
les hommes ne peuvent trouver4 que c’est que fait Dieu.


12Je sais qu’il n’y a point de bien en eux,
sinon qu’ils s’éjouissent et fassent bien en leur vie.

13Voire ce que tout homme banquette,
et parmi tout son travail jouit du bien,
c’est un don de Dieu.

14Je sais que tout ce que fait Dieu, est perdurablem,
et n’y faut ajouter ni ôter :
or Dieu se fait craindre.


15Ce qui a été, est déjà : et ce qui sera a déjà été,
et Dieu rappelle ce qui a été chassé.

*

16D’avantage voyant que sous le soleil
en lieu de droit et justice, il y a méchanceté et injustice,

17je pense en moi-même
que Dieu jugera et les justes et les injustes :
car tout bandonn et œuvres
auront une fois leur temps.


18Je pense en moi-même,
touchant les hommes,
que Dieu les a tellement destinés,
qu’il semble qu’ils soient bêtes.

19Car il en prend tout ainsi d’un homme que d’une bête :
comme elle meurt, aussi fait-il,
et ont tous deux un même esprito,
et n’y a rien en quoi l’homme surmonte la bête,
vu que tous deux ne valent rien.

20Tous deux s’en vont en un même lieu :
tous deux sont venus de poudrep,
et tous deux re-vont en poudre.

21Qui sait si l’esprit de la race des hommes
monte en haut ?
ou si l’esprit d’une bête
descend dessous terre ?


22Je vois bien qu’il n’y a point de bien,
sinon que l’homme se réjouisse en ses œuvres : car c’est-ce qu’il en aq.
Car qui l’amènera à-savoir ce qui sera après lui ?

Eccl.4

1Derechef voyant tant de torts
qui se font sous le soleil,
et les larmes de ceux auxquels on fait tort,
lesquels nul ne console :
on leur fait tort par force,
et nul ne les console :

2je prise plus les morts qui sont déjà morts,
que les vifs qui sont encore en vie :

3et si estime encore plus que les uns ni les autres,
ceux qui ne sont pas encore,
lesquels ne voient pas les mauvaises choses
qui se font sous le soleil.

*

4Item je vois que tout le travail
et devoir de ce qu’on fait,
n’est autre chose qu’envie des uns contre les autres :
ce qui ne vaut encore rien, et n’est qu’une fâcherie d’espritr.


5Un fol 5plie ses mains,
et mange sa propre chair.

6Mieux vaut une pognées en repos,
qu’une havéet avec peine et fâcherie d’espritu.

*

7Derechef je vois sous le soleil une chose qui rien ne vaut,

8qu’il y en a tel qui est tout seul sans hoirv,
voire sans fils ni frère,
qui néanmoins ne cesse jamais de travailler,
et n’a jamais 6l’œil soul de richesses :
et 7pour qui travaille-je,
et ne mange pas demi mon soul ?
ce qui ne vaut encore rien, et est un mauvais tourment.


9Mieux valent deux qu’un,
et sont bien récompensés de leur peine.

10Car s’ils tombent, ils se lèveront l’un l’autre.
Mais il fait mal être seul :
car s’il tombe, il n’a personne pour le lever.

11D’avantage si deux couchent ensemble, ils s’échauffent :
mais un comment s’échauffera-t-il ?

12et si l’un est vaincu,
les deux tiendront bon,
et ne se rompt pas tôt une corde à trois cordons.

*

13Mieux vaut un enfant bien appris et sage,
que ne fait un roi vieux et fol, lequel ne saurait plus être endoctrinéw.

14Car tel sort de prison, qui devient roi :
et tel est né roi, qui devient pauvre.

15J’ai autrefois vu tous les vivants qui se tiennent sous le soleil, accompagner un enfant second,
qui devait être hoir de son père,

16tellement que tant de gens allaient devant et après lui, que c’était une chose infinie,
et si 8ne venaient point à s’en réjouir :
ce qui ne vaut encore rien, et n’est qu’une fâcherie d’espritx.

*

179Garde tes pieds quand tu t’en vas en la maison Dieu,
et t’avance plus pour ouïr que pour offrir sacrifice de fols :
car 10ils ne savent pas le mal qu’ils font.

Eccl.5

1Ne te hâte point légèrement de prononcer paroles de bouche,
ou les tirer de ton cœur,
devant Dieu :
car Dieu est au ciel, et tu es en terre :
et pourtant parle peu :

2car trop grand souci fait songer,
et trop parler fait dire quelque sot propos.


3Quand tu auras fait vœu à Dieu,
ne fauty point à le rendre :
car 11les fols ne sont point agréables :
rend ce que tu auras voué.


4Il vaut mieux que tu ne vouesz point,
que de vouer sans rendre.

5N’emploie pas 12ta bouche pour endommager toi-même,
et ne dis pas devant l’ange que c’est par mégarde,
de peur que Dieu n’ait dépit de ta parole,
et ne renverse tes affaires.

6Car en beaucoup de paroles y a beaucoup de 13songes,
et propos qui rien ne valent : et pourtant craint Dieu.

*

7Si tu vois qu’en une province on fasse tort aux pauvres,
et qu’on forceaa droit et justice,
ne t’ébahit pas d’un tel bandonab :
car 14il y a des officiers qui prennent garde sur les autres officiers,
et eux-mêmes sont encore sujets à des autres,

8et le roi de la contrée qui est cultivée,
est par-dessus tous ceux du pays.

*

9Qui argent aime, jamais d’argent ne soule :
et qui aime richesses n’a point de profit,
ce qui ne vaut encore rien.


10A force biens, force mangeurs :
et n’en a le maître autre profit
que la vue.

11Un qui travaille, dort à son aise,
soit qu’il mange peu, ou 15prou :
mais quand un riche mange son soul,
cela 16le garde de dormir.


12Il y a un mauvais vice que je vois sous le soleil,
c’est des richesses qui sont gardées à leur maitre pour son mal,

13lesquelles richesses périssent le plus misérablement du monde,
vu qu’il a engendré un fils qui n’aura rien :

1417et tout ainsi qu’il est sorti tout nu du ventre de sa mère,
il retourne comme il était venu,
sans rien emporter de sa peine
pour lui tenir compagnie :

15ce qui est aussi un mauvais vice,
vu qu’il s’en va tout ainsi qu’il était venu,
sans avoir rien gagné d’avoir travaillé au vent.

16Je me tais que toute sa vie il mange en ténèbres,
en maint chagrin, maladie, et dépit.

17Et pourtant ce que je vois de bon et beau,
c’est qu’il mange et boive,
et que toute sa vie, parmi toute la peine
qu’il endure sous le soleil,
il fasse bonne chère des biens que Dieu lui a donnés :
car c’est son parti.

18Et de vrai, à tout homme que Dieu donne richesses et chevance,
et lui donne puissance d’en banqueter,
et emporter sa pièce, et jouir de son travail,
c’est un don de Dieu.

19Car il ne lui souvient guère 18du temps de sa vie,
puis-que Dieu lui octroie joie de cœur.

Eccl.6

1Il y a un mal que je vois sous le soleil,
voire qui se trouve coutumièrement entre les hommes,

2c’est qu’il y en a tel, à qui Dieu donne tant de richesses, chevance et honneur,
qu’il ne saurait souhaiter chose qu’il n’ait,
et si ne lui donne pas Dieu puissance d’en manger,
mais en mange un qui ne lui est rien :
ce qui ne vaut rien, et est une mauvaise faute.


3Si quelqu’un engendre bien cent enfants,
et qu’il vive beaucoup d’ans,
et que non seulement il ne soûle point son appétit de biens,
mais même ne soit point enterré,
je dis que son cas se porte plus mal, que d’un avortonac.

4Car un avorton qui est venu pour néant,
et s’en va en ténèbres,
et est son nom couvert de ténèbres,

5et ne vit ni ne connut même le soleil,
est plus en repos qu’un tel homme.

6Mais un tel homme, quand bien il aurait vécu mille et autres mille ans,
s’il n’a joui des biens,
ne s’en vont-ils pas tous deux en un même lieu ?

*

7Toute la peine que prend l’homme, sert à sa bouche,
et si a un appétit qui n’est jamais plein.

8Car de combien vaut mieux un sage qu’un fol ?
ou un humble qui se sait bien gouverner entre les vivants ?

9Mieux vaut 19vue d’œil, qu’attente de cœur :
ce qui ne vaut encore rien, et est une fâcherie d’espritad.


10Celui qui a été, est déjà nommé,
et sait-on bien qu’il a été homme,
et n’a pu combattre
20plus fort que soi.

11Donc puis qu’il y a tant de choses,
qui font que tout ne vaut rien,
que gagne l’homme ?


12Car qui sait que c’est qui est bon à l’homme,
tous les jours de sa vie tant néante,
lesquels il passe comme une ombre ?
Et qui fera savoir à un homme
ce qui sera après lui sous le soleil ?

Eccl.7

1Mieux vaut bonne renommée, que bonne eau de senteur,
et jour de mort, que de naissance.

2Mieux vaut aller en maison de deuil,
qu’en maison de banquets :
en la maison qui est la fin à tous hommes,
qu’en celle qui leur met la vie au cœur.

3Mieux vaut chagrin que ris :
car de triste visage vient joie de cœur.

4cœur de sage est en maison de deuil :
et cœur de fol, en maison de joie.


5Mieux vaut ouïr tancerae un sage,
que chanter un fol.

6Car bruit d’épines sous un potaf,
et ris de fol, c’est tout un.
Item ceci ne vaut rien :

7c’est que 21tort affole un sage,
et les dons mettent un homme hors du sens.


8Mieux vaut la fin d’une chose, que son commencement :
mieux vaut tardifag, que hautain courage.

9Ne sois point léger de courage à te dépiter :
car en sein de fol, loge dépit.

10Ne demande point pourquoi
c’est que le temps passé a été meilleur que le présent :
car c’est mal sagement
demandé à toi.


11Mieux vaut sagesse qu’héritage,
et est plus profitable 22à ceux qui voient le soleil.

12Car s’il est question du secours qui gît en sagesse,
et de celui qui gît en argent,
la science et sagesse est d’autant plus profitable,
qu’elle sauve la vie à son maître.

13Regarde l’ouvrage de Dieu,
qui est tel, que ce qu’il courbe, nul ne peut dresser.

14Quand tu as bon temps donne-toi tellement de bon temps,
que tu regardes le mauvais temps :
car Dieu a fait l’un accompagné de l’autre,
à celle fin que l’homme 23n’y sache rien trouver.

*

15Je vois tout en mon âge, pour néant qu’il soit :
il y a tel innocent, qui périt en son innocence :
et y a tel méchant qui dure en sa mauvaitieah.

16Ne sois ni trop innocent,
ni trop sage,
de peur que tu ne sois détruit.

17Ne sois ni trop méchant,
ni trop fol,
de peur que tu ne meures devant ton temps.

18Il est bon que tu tiennes ceci,
voire sans le lâcher de ta main :
car de tout échappe qui craint Dieu.

19La sagesse assure dix fois plus un sage,
que d’être le principal d’une ville.


2024Car il n’y a au monde homme si juste,
qu’il fasse si bien qu’il ne pêche.

21N’applique aussi point ton cœur à tous les propos qu’on tient,
de peur que tu ne t’oyes maudire par ton serviteur.

22Car tu sais bien que mainte-fois toi-même
as bien maudit les autres.

*

23J’ai essayé tout ceci par sagesse,
tâchant de devenir sage :
mais j’en suis bien loin.

24C’est une chose si très-loin
et si très-profonde, qu’on n’en saurait venir à bout.

25Quand je tourne mon cœur
pour savoir, examiner, et chercher
sagesse et raison,
et pour savoir la méchanceté des fols,
et la sottise des forcenés,


26je trouve que la femme est plus amère que la mort :
de laquelle femme le cœur
sont filets et rets, et les mains sont liens,
dont qui est en la grâce de Dieu, en échappe :
mais qui est méchant, y est pris.

27Voila que j’ai trouvé (dit le prêcheur)
en cherchant raison de point en point,

28laquelle je cherche encore de mon esprit, et ne l’ai pas trouvée.
J’ai trouvé 25un homme entre mille :
mais entre toutes les femmes,
je n’en ai pas trouvé une.

29D’avantage voici que j’ai trouvé :
c’est que Dieu fit l’homme droit,
mais 26on a cherché beaucoup de raisons.

Eccl.8

1Qui est à comparer à un sage ?
et qui sait déchiffrer les matières ?
La sagesse d’un homme illumine son visage,
et lui ôte sa faroucheté.

227Je te conseille de prendre garde à la bouche du roi,
et d’avoir égard au serment de dieu.

3Ne 28t’en va pas légèrement de devant lui :
ne persévère pas en mauvaise chose :
car tout ce qu’il lui plaît, il fait.

4En parole de roi gît quant-et-quant puissance,
tellement qu’il n’y a celui qui lui demande raison de ce qu’il fait.

*

5Qui exécute ce qui lui est commandé,
se garde de malencontreai :
et cœur sage connaît temps et raison :

6car tout ce qui plaît, à temps et raison,
pourtant que l’homme endure beaucoup de maux :

7à cause qu’il ne sait ce qui est à venir :
car qui lui donnera à connaître l’avenir ?

8Ainsi qu’un homme ne peut être maître du vent
et l’ateniraj,
ni faire à sa guise du jour de la mort,
ni jouir de la guerre,
ainsi ne peut méchanceté délivrer son maître.

*

9Tout ceci ai-je vu, et ai appliqué mon cœur
à toutes les choses qui se font sous le soleil,
ce-pendant que les hommes sont maîtres
les uns des autres à leur dommage,

10Aussi ai-je vu des méchants qui étaient enterrés,
et s’en étaient allés, et délogés 29du saint lieu,
qui avaient bon bruitak en la ville, en laquelle ils avaient ainsi vécu :
et cela ne vaut encore rien.


11Pourtant que les malfaisants
ne sont pas incontinent justiciés,
la race des hommes a le cœur totalement prompt à malfaire.

12Mais combien que les mauvais fassent cent fois mal,
et néanmoins durent,
si sais-je bien
que de ceux qui ont la crainte et révérence de Dieu,
leur cas se portera bien :

13et celui des méchants ne se portera pas bien,
et ne vivront pas si long âge,
qu’il ne soit comme une ombre,
puis-qu’ils ne craignent point dieu.

14Il y a une chose qui rien ne vaut, laquelle se fait au monde,
c’est qu’il y a des innocents qui sont fortunésal comme méchants,
et des méchants qui sont fortunés comme innocents :
et je dis que cela ne vaut encore rien.


15Et pourtant je prise plaisir,
en tant qu’un homme n’a autre bien sous le soleil,
que de manger et boire, et faire grand chère,
et pour le moins retenir de son travail
en sa vie,
ce que Dieu lui donne sous le soleil.

*

16Comme ainsi fût que j’eusse adonné mon cœur à connaître sagesse,
et à considérer le tourment qu’on endure au monde,
jusqu’à ne pouvoir dormir jour ni nuit,

17j’ai aperçu que toutes les œuvres de Dieu sont telles,
que l’homme ne peut trouver la raison de ce qui se fait sous le soleil :
et quelque peine qu’il prenne à la chercher, si ne la peut-il trouver :
et combien que le sage se délibère de l’apprendre,
si ne la peut-il trouver.

Eccl.9

1Car j’ai cherché et épluchéam
en mon esprit toute cette matière,
c’est que les justes et sages, et leurs faits,
sont en la main de Dieu :
tellement que les hommes ne savent si l’on est30 aimé ou haï,
vu qu’ils voient évidemment qu’autant en est des uns que des autres.

2Autant en prend du juste que de l’injuste,
du bon et net que du souillé,
de celui qui sacrifie que de celui qui ne sacrifie,
du bon que du mauvais,
du parjure que de celui qui craint de se parjurer.


3C’est un mauvais cas en tout ce qui se fait sous le soleil,
que comme la fortune de tous est tout une,
ainsi ont les hommes le cœur plein de mauvaitie
et forcenneriean, durant leur vie,
puis s’en vont trouver les morts.


4Car en tous vifs (qui est chose désirable)
il y a espérance,
car un chien vif vaut mieux qu’un lion mort,

5vu que les vifs savent bien qu’ils mourront :
mais les morts ne savent rien,
et ne leur reste plus nulle récompense,
attendu que la mémoire en est effacée,

6et leur amour et leur haine et leur envie
est déjà périe, et n’ont jamais plus rien à faire
avec chose qui se fasse sous le soleil.

*

7Va, mange ton pain joyeusement,
et bois ton vin d’un cœur gai,
puis-que Dieu prend plaisir en tes œuvres.

8Porte tous-joursao des habillements blancs,
et la tête mouillée de baume, sans y faillir.


9Passe le temps avec ta bien aimée,
tant que durera ta néante vie,
qui t’est octroyée sous le soleil, tant que durera ton néant.
Car c’est-ce que tu gagnes en la vie,
par la peine que tu prends sous le soleil.


10Tout ce que tu auras puissance de faire,
fais-le de tout ton pouvoir :
car en l’autre monde où tu t’en vas,
il n’y a ni œuvre, ni raison, ni science ou sagesse.

*

11Derechef je vois que sous le soleil
il n’y a ni vitesse qui serve pour courir,
ni force pour guerroyer,
ni sagesse pour acquérir de quoi vivre,
ni entendement pour richesses,
ni savoir pour entrer en grâce,
mais n’y a que temps et fortune qui gouverne tout.


12Car les hommes ne savent point leur temps :
et comme les poissons se prennent au cauteleux filé,
et les oiseaux aux lacsap,
ainsi les hommes sont enfilés au temps d’adversité,
et accablés au dépourvu.

*

13Item je vois une sagesse sous le soleil,
laquelle j’estime beaucoup.

14Il y a une petite ville, et peu de gens dedans,
laquelle est assaillie et assiégée d’un grand roi,
qui dresse contre elle des gros engins.

15Et se trouve en elle un homme roturier, qui est si sage,
que par sa sagesse il délivre la ville :
et toutefois homme n’avait souvenance dudit homme roturier.

16Et pourtant je dis
que sagesse vaut mieux que force,
d’jà soit que la sagesse d’un homme de basse condition soit méprisée,
et qu’on n’obéisse pas à ses paroles.

17On écoute mieux les paisibles paroles d’un sage,
que la crierie d’un maître des fols.

1831Mieux vaut sagesse, que bâtons de guerre,
et un mauvais gâte beaucoup de bien.

Eccl.10

1Comme les mouches venimeuses font puer et gâtent
le baume,
ainsi un peu de folie gâte
une excellente sagesse et honneur.


2Un sage a le cœur à la droite,
et un fol à la gaucheaq.

3Un fol même en allant par le chemin
est hors du sens,
et montre à chacun qu’il est fol.

*

4Si 32celui qui est maître se courrouce contre toi,
33n’abandonne point ta place :
car se tenir coi 34est le remède de maintes fautes.


5Un mal y a que je vois sous le soleil,
comme partant du més-entendement de celui qui gouverne :

6c’est que le fol est mis en haut degré de dignité,
et les riches sont assis tout bas :

7j’ai vu des serviteurs sur des chevaux,
et les princes aller à pied comme serviteurs.

*

8Qui fosse cavear, en fosse trébuche :
et qui haie défait, sera mort d’un serpent.

935Qui pierres porte, il y travaille :
et qui bois fend, il y ahanne.

10Comme quand un outil est rebouchéas et mal émoulu,
il n’y a si fort qu’il ne lasseat,
ainsi 36sagesse fait valoir excellence.

*

11Un languard ne vaut de rien mieux qu’un 37serpent,
quand il mord sans être charmé.

12 Paroles de sage ont crédit :
lèvres de fol gâtent leur maître.

13Le commencement de ses propos n’est que folie,
et la fin n’est qu’une malheureuse forcennerieau.

14Quelque causer que fassent les fols,
l’homme ne sait ce qui est avenir,
et n’y a nul qui lui donne à connaître ce qui sera après lui.

1538Un fol qui ne sait aller en la ville,
travaille tant qu’il se lasseav.

*

16Ha pauvre pays qui as un roi enfant,
et des princes qui 39mangent de matin.

17Heureux pays qui as un roi chenu,
et des princes qui mangent à l’heure qu’ils doivent,
pour reprendre leur force, et non pour boire.

18Par paresse dé-caleaw le plancherax,
et mains lâches font pleuvoir en la maison.

19De la panse vient la danse,
et du vin joyeuse vie,
et argent dompte tout.

20Ne maudis point le roi, même en ta pensée,
et ne maudis point un riche, même en l’arrière-chambre où tu couches :
car les oiseaux mêmes de l’air emporteront le propos,
et y aura quelque chose volante qui en fera le rapport.

Eccl.11

1Jette 40ton blé en lieu humide :
car par succession de temps tu le trouveras.

2Départ-enay 41à sept, voire à huit :
car tu 42ne sais quel mal il adviendra au monde.

343Quand les nuées sont pleines,
elles épandent de la pluie sur terre :
et soit qu’un arbre tombe contre le midi, soit contre la bise,
là même où il tombe, il demeure.

444Qui prend garde au vent ne sème point :
et qui regarde les nuées, ne moissonne point.

5Comme tu ne saurais connaître la trace du ventaz,
ni les os qui sont au ventre d’une femme grosse,
ainsi ne saurais-tu connaître l’ouvrage de Dieu,
qui fait tout.

6Au matin sème ta semence,
et au soir n’y aie point la main lâche :
car tu ne sais lequel des deux vaut mieux,
ou s’ils sont tous deux aussi bons l’un que l’autre.

*

7Et la lumière est chose ami-ableba,
et voir le soleil est chose plaisante aux yeux :

8toutefois combien qu’un homme vive plusieurs ans,
voire toujours à son aise,
s’il lui souvient combien long sera le temps de ténèbres,
tout ce qui vient n’est rien.


9Jouis de ta jeunesse, jouvenceau,
et te donne de bon temps tandis que tu es jeune,
et mène un tel train que requiert le souhait de ton cœur,
ou le regard de tes yeux :
mais sache que de tout cela Dieu t’en fera rendre compte.

10Ôte donc fierté de ton courage,
et chasse méchanceté de ton corps :
car jeunesse et peu savoir, ne vaut rien.

Eccl.12

1Et te souvienne de ton créateur,
tandis que tu es jeune,
devant que vienne le mal-temps,
et que les ans arrivent, desquels tu diras
que tu n’y prends pas plaisir :

2devant que 45le soleil, et la lumière,
et la lune, et les étoiles perdent leur clarté,
et que les 46nuées retournent après la pluie,

3lors-que les 47gardes de la maison trembleront,
et les 48soudards chancelleront,
et les 49meules cesseront, tant seront amoindries :
et 50les regardant par les trous n’y pourront plus voir,

4et les 51huis seront fermés par dehors,
52avec un bas son de la meule :
et qu’on se lèvera au chant 53d’oiseau,
et que toutes les 54chanteresses seront cassées.

5Item lors-qu’on aura peur des lieux hauts,
et de chopperbb en la voie,
et que 55l’amandier fleurira,
et que 56les cigales s’assembleront,
et se perdra l’appétit,
quand l’homme s’en ira en son logis éternel,
et que les portants-deuil tourneront par la rue.

6Devant que 57la chaîne d’argent soit rompue,
et la fiole d’or cassée,
et la bouteille brisée sur la source,
et le chariot froissébc vers la fosse,

7et que la poudrebd retourne en terre, comme elle avait été,
et que l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné.

*

8Tout ne vaut rien, dit le prêcheur, tout ne vaut rien.


9D’avantage par l’excellente sagesse qu’avait le prêcheur,
il enseigna aux gens autre savoir,
et proposa ce qu’il avait épluchébe, composant maintes sentences.

10Ledit prêcheur tâcha de trouver paroles plaisantes,
et droite écriture
de vrais propos.

11Paroles de sages sont comme aiguillons,
et sont ramasseurs donnés d’un pasteur, comme pointes fichéesbf.

12Au reste, mon fils, soi bien avisé :
de faire tant de livres, il n’y a point de fin :
et trop grand souci, lasse le corps.

13Conclusion, quand tout est dit,
crains Dieu, et garde ses commandements :
car c’est le devoir de tous hommes.


14Car de toute œuvre, tant soit secrète, Dieu en fera rendre compte,
soit bonne soit mauvaise.

La fin de l’Ecclésiaste