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Paul de Tarse (60) Lettres de l’apôtre

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Paul de Tarse (60) Lettres de l’apôtre

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Préface hurlue

Les lettres de Paul de Tarse (ou Épîtres de saint Paul apôtre) sont parmi les textes les plus lus depuis des siècles. Elles continuent d’influencer des chrétiens, spécialement les évangélistes, qui y trouvent une inspiration pour leurs cérémonies, leur vie sexuelle, le statut des femmes, ou la collecte de fonds. Il n’est pas nécessaire de croire à un texte pour s’y intéresser. Ce sont les premiers écrits chrétiens, avant les évangiles, un témoignage de l’inspiration initiale de cette religion. C’est aussi un document très vivant sur la société gréco-romaine.

Ne sont données ici que les lettres attestées de Paul de Tarse, en ordre chronologique, les autres épîtres reconnues par le canon biblique apportent peu à la doctrine. Paul écrivait en grec (du très mauvais selon Nietzsche). Il est ici dans un français somptueux, la traduction de Sacy (1613–1684), dite aussi Bible de Port Royal (1667) — un haut lieu parisien de réflexion linguistique et religieuse (Racine, Pascal, Arnault…). Pourquoi celle-là et pas une autre ? Parce qu’elle témoigne d’un moment rare en français, où le style servait la religion. Depuis les Lumières et la Révolution, le talent littéraire s’est moins souvent occupé de la Bible.

Ce français est parfois beaucoup plus intelligent que le grec initial, liant par exemple des énumérations brutes et parfois énigmatiques, dans la progression d’une phrase qui lui donne du sens. Si quelqu’un veut absolument goûter l’effet du grec de Paul dans une langue actuelle, il peut essayer une traduction de Darby (1800–1882), un prédicateur anglais qui a rendu la Bible le plus littéralement possible en anglais, mais aussi en allemand, et en français. Le résultat demande une tournure d’esprit un peu masochiste pour se plaire au texte. Sacy, plus fidèle à Paul – « la lettre tue, et l’esprit donne la vie » (2 Co 3.6) — s’explique ainsi  :

On ne voyait pas qu’on pût garder l’exactitude littérale dans la traduction de Saint Paul, sans la rendre si obscure en plusieurs endroits que l’on n’aurait pu y rien comprendre.

En faisant réflexion sur saint Jérôme, qui est comme le modèle des traducteurs de l’Écriture, puisque l’Église a si solennellement approuvé sa version, on reconnaissait qu’il n’avait point cru être obligé de s’attacher servilement à la lettre, puisque l’on voit par la manière dont il a traduit Job & les Prophètes, que bien loin de n’en faire qu’une glose, il a tellement éclairci ces Écrits divins qui étaient beaucoup plus obscurs dans les Septante [en grec], & il leur a donné dans sa traduction tant de force & tant de vigueur, que saint Augustin en cite les paroles, lors même qu’elle n’était pas encore en usage dans l’Église, pour faire voir l’éclat & la majesté de l’Écriture.

Sacy, 1667, Préface à la première édition du Nouveau Testament.

Les Lettres de Paul sont un monument collectif et millénaire, comme une cathédrale. En rester à la crypte initiale et souterraine des premiers chrétiens est une illusion à jamais perdue, et ne comprendrait pas l’ampleur que l’édification a prise depuis. La traduction idéale garderait l’inspiration originale et chercherait à retrouver l’entousiasme que produisait Paul, et qu’il ne peut plus produire parmi nos esprits bien plus critiques.

Sacy « a eu dessein de représenter les paroles de l’Ecriture », comme Racine représentait les romains sur scène. Re-présenter, rendre présent, mais avec les siècles qui nous séparent de Sacy, Paul est habillé en majesté Grand Siècle, alors qu’on le savait pauvre, laid, et sale.

Les lettres racontent un militant qui essaie de conserver une cohérence de pratiques et de doctrines entre différents groupes éparpillés sur la Méditerrannée d’orient. Comment entretenir l’espoir que la fin de l’Histoire est pour bientôt, alors que l’inertie du monde s’obstine à durer et à démentir les prophéties ?

Il y a un congrès (Jérusalem, 50), une scission (Antioche, 50), trois campagnes missionnaires (45~49, 50~52, 53~58), une arrestation (Jérusalem, ~60), et un procès (Rome, ~60). L’exactitude des péripéties importe moins que la manière dont elles sont vécues. Paul hésite souvent entre le cosmique et le trivial.

Je connais un homme en Jésus-Christ [lui-même], qui fut ravi il y a quatorze ans (si ce fut avec son corps, ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait), qui fut ravi, dis-je, jusqu’au troisième ciel […] il y entendit des paroles ineffables, qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter. Je pourrais me glorifier en parlant d’un tel homme ; mais pour moi, je ne veux me glorifier que dans mes faiblesses et dans mes afflictions. (2 Co 12.2-5)

Il se vexe quand on le prend pour un fou.

Je vous le dis encore une fois : « que personne ne me juge fou ; ou au moins souffrez-moi comme fou, et permettez-moi de me glorifier un peu » (2 Co 11.16)

Il se vante.

J’ai été battu de verges par trois fois, j’ai été lapidé une fois, j’ai fait naufrage trois fois, j’ai passé un jour et une nuit au fond de la mer […] (2 Co 11.25)

Et il insiste régulièrement pour se justifier de ne rien coûter, il ne prêche par par intérêt matériel.

Et lorsque je demeurais parmi vous, et que j’étais dans la nécessité, je n’ai été a charge à personne (2 Cor 11.9)

Il n’est pas exactement mythomane, une part de ce qu’il rapporte est corroboré, mais il a dû voir Dieu d’un peu trop près, son bon sens a mal supporté. Il soigne sa vanité en entraînant les autres dans ses délires, notamment la glossolalie — la prière en langues — oubliée des catholiques mais très pratiquée par les évangélistes.

Si toute une Église étant assemblée en un lieu, tous parlent diverses langues, et que des infidèles, ou des hommes qui ne savent que leur propre langue, entrent dans cette assemblée, ne diront-ils pas que vous êtes des insensés ? (1 Co 14.23)

Il est étrange de lire dans ce texte comment les idées de peu de monde, et même les lubies d’un seul personnage, ont pu prendre corps et constituer une religion universelle. La force de l’impulsion initiale de ce texte est toujours présente dans les sociétés qui s’en sont réclamées, même chez les incroyants. Le trait le plus marquant du complexe chrétien est sans doute politique.

Par la peur de la mort, la religion humilie les grands sous Dieu et devant les humbles ; et elle console des humbles par une grandeur imaginaire, remise au jour où Dieu reviendra. Nous ne craignons plus Dieu ou autres fictions, mais nous mourrons encore, et nos grands sont devenus fous, ils pensent trouver le secret de leur immortalité (et il n’y en aura pas pour tout le monde). Qu’ils ne croient pas à des dieux bien anciens, pourquoi pas, mais qu’ils croient leur science plus intelligente est subtile que les milliards d’années de la vie, qu’ils ne comprennent pas leur misère, qu’ils ne s’inclinent pas devant une planète qui les dépasse et qui est indispensable aux autres, et qu’ils entraînent le monde dans leur chute ; nous n’avons pas la joie mauvaise de l’apocalypse des aztèques ou des maïas, nous ne pouvant pas l’accepter. On ne se console pas en leur souhaitant une réincarnation humiliante ; nous sommes juste révoltés qu’ils se moquent aussi ouvertement de leur propre conscience. Nous ne pouvons pas nous empêcher de penser qu’ils ont une âme pareille à la nôtre, et cela nous a été appris par le christianisme (même si bien d’autres cultures le savent aussi bien). Nul n’est bon par nature, le bien est un effort perpétuel devant lequel nous sommes tous égaux.

Car encore que ma conscience ne me reproche rien, je ne suis pas justifié pour cela (1 Co 4.4)