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Lois (1685) Code noir

Textes libres à participations libres


Lois (1685) Code noir

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Préface hurlue

Le code noir (1685) est souvent invoqué comme totem, quoique pas toujours analysé. La loi s’écrivait alors dans la langue de Boileau, « ce que l'on conçoit bien s’énonce clairement », montrant distinctement et brutalement un ordre social catholique, oppressant avec la bonne conscience de la charité.

La première question abordée par ce texte n’est pas l’esclavage, mais la persécution des juifs, dès l’article I. Il serait bon de rappeler aux antisémites qui prétendent défendre la mémoire de l’esclavage : il n’y a pas de gagnants dans la course victimaire. Toute hiérarchie, même entre les victimes, produit des inférieurs et des opprimés.

Louis, par la grâce de Dieu, Roy de France

(I) enjoignons à tous nos Officiers de chasser hors de nos Îles tous les Juifs qui y ont établi leur résidence auxquels comme aux ennemis déclarés du nom Chrétien

Dès l’article III, le code noir s’en prend ensuite aux protestants. En 1685, Louis XIV venait de révoquer l’Édit de tolérance promulgué à Nantes par Henri IV en 1598, pour mettre fin aux guerres de religion. Les Isles Françoises de l’Amérique sont l’occasion de commencer le nettoyage religieux, pour en faire un paradis catholique.

(III) Interdisons tout exercice Public d’autre Religion que la Catholique, Apostolique & Romaine ; voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles & désobéissants à nos Commandements

(VIII) Déclarons nos Sujets qui ne sont pas de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine incapables de contracter à l’avenir aucuns mariages valables. Déclarons bâtards les enfants qui naîtront de telles conjonctions

Pour notre époque où deux tiers des enfants naissent entre concubins, on ne mesure pas que le monopole catholique de l’administration du mariage est un arrêt de mort sociale pour les autres confessions. Se marier sous la loi juive ou réformée, c’est n’avoir que des réputés bâtards qui n’étaient pas seulement réprouvés, mais surtout, ils ne pouvaient plus défendre leur droit à héritage devant une justice, et donc risquaient d’être écartés de toute propriété. Le génie français n’est pas de terroriser les hérétiques en les brûlant mais de les araser discrètement, doucement et lentement, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus qu’humiliation et cendres.

La Réforme menace le pouvoir, non seulement parmi les maîtres, mais surtout si elle se diffuse parmi les nègres (ou esclave, c’est synonyme dans ce texte).

(III) Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites & séditieuses

(XVI) Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents Maîtres, de s’attrouper, soit le jour ou la nuit, sous prétextes de noces ou autrement, soit chez l’un de leurs Maîtres ou ailleurs, & encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet & de la fleur de Lys ; & encas de fréquentes récidives & autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort : ce que nous laissons à l’arbitrage des Juges. Enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, de les arrêter & conduire en prison, bien qu’ils ne soient Officiers, & qu’il n’y ait contre eux encore aucun décret.

La loi garde la mémoire de rares moments de liberté que les esclaves pouvaient prendre sous prétexte de mariage ou de culte. La fleur de Lys est la peine subie par Milady dans les trois mousquetaires (Dumas était de père mulâtre), marquée du signe du roi au fer rouge. Le texte fait un appel explicite, à courir sus aux contrevenants, à la délation et à la police privée, couvrant l’égoïsme de ces bons citoyens qui en profitent pour dénoncer un concurrent commercial.

Est-ce qu’il y a un progrès entre l’esclavage antique et l’esclavage moderne ? Comparer les conditions matérielles serait difficile, mais le statut juridique donne des indices. Pour Aristote comme pour Louis XIV, l’esclave est un bien meuble, qui s’achète et se vend, comme du bétail. Mais, l’esclave chrétien a une âme, ce qui complique un peu l’aliénation, c’est un meuble instruit. Observons.

(II) Tous les Esclaves qui seront dans nos Îles seront baptisés & instruits dans la Religion Catholique, Apostolique & Romaine.

(XLIV) Déclarons les esclaves être meubles

(XLVI) Dans les saisies des esclaves, seront observées les formalités prescrites par nos Ordonnances & les Coutumes pour les saisies des choses mobiliaires […] aux exceptions suivantes.

(XLVII) Ne pourront être saisis & vendus séparément, le Mari & la Femme & leurs enfants impubères, s’ils sont tous sous la puissance du même Maître

Un meuble instruit n’a aucune propriété, même son corps, mais puisqu’il faut bien qu’il soit une âme, qui vivra après la mort, alors un roi très chrétien se doit d’administrer son droit au paradis. Le premier devoir de l’esclave ici-bas est de croître et se multiplier (pour le bien de son maître). Les îles françaises de 1685 organisent déjà ce que connaîtront les État-Unis après 1807  : une économie d’élevage, et plus seulement de capture, car l’anglais domine déjà les mers et entrave le commerce triangulaire. Le code noir organise la reproduction des esclaves, selon une interprétation astucieuse du dogme sacré du mariage.

(X) Lesdites solennités […] pour les mariages, seront observées tant à l’égard des personnes libres que des esclaves, sans néanmoins que le consentement du père & de la mère de l’esclave y soit nécessaire, mais celui du Maître seulement.

(XI) Défendons très expressément aux Curés de procéder aux mariages des esclaves, s’ils ne font apparoir du consentement de leurs Maîtres. Défendons aussi aux Maîtres d’user d’aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.

Esclaves et maîtres partagent le même mariage catholique avec consentement sacré entre époux. Les esclaves sont moins libres que des animaux sauvages, puisqu’ils ne peuvent pas enfanter sans l’autorisation de leur maître ; mais un peu plus que les animaux domestiques, puisque les maîtres ne peuvent pas les forcer à s’aimer, ni leur retirer leurs enfants (avant la puberté), contrairement aux veaux ou aux agneaux.

La loi introduit un dernier mécanisme sexiste d’aliénation.

(XII) Les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves & appartiendront aux Maîtres des femmes esclaves & non à ceux de leurs maris, si le mari & la femme ont des Maîtres différents.

(XIII) Voulons que si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants, tant mâles que filles suivent la condition de leur mère, & soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur père ; & que si le père est libre & la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement.

Les héritiers de l’esclavage aux États-Unis ont noté que la mère esclave avait un statut relativement plus élevé que les hommes de sa condition, contrairement aux maîtres qui dominaient leurs épouses. Ce raffinement de la loi permet de comprendre que la domination patriarcale s’effectue par le patrimoine, par la propriété, qui protège la mère et permet d’enfanter en sécurité.

Empêché de propriété, l’esclave mâle ne peut pas protéger sa femme et ses enfants, il n’est que sa force de travail, tandis que son épouse a plus de valeur, puisqu’elle est potentiellement plusieurs forces de travail à naître. La propriété des enfants esclaves passe par la mère (jusqu’à son maître), mais pas par le père, réputé putatif et incertain, contrairement au libre, qui peut reconnaître ses enfants (et adopter).


Ce voyage assez désagréable dans les idées claires et distinctes de la France d’alors devrait convaincre que l’esclavage est l’affaire de tous.

Un blanc bourgeois mâle n’a pas à demander pardon de ce qu’il n’a pas fait, et demander pardon à qui d’ailleurs ? Personne n’est maudit jusqu’à la quinzième génération, pas plus les coupables que les victimes. Déjà du temps de Louis XIV, la responsabilité était personnelle.

Par contre, un blanc, nous, tous, devons comprendre et digérer ce que cette culture française a fait, et peut refaire, avec cette langue assez subtile pour instituer légalement l’injustice la plus odieuse, en toute bonne conscience de grand style et bonne rationalité.