Préface hurlue
Bourla-Papey, mot de patois vaudois que l’on peut traduire par Brûle-Papiers, sont des paysans suisses (Pays de Vaud) de 1802, révoltés contre le rétablissement des privilèges féodaux. En 1798, sous la pression des armées révolutionnaires françaises, la Suisse s’institue en République et abolit les charges coutumières, pour établir un impôt constitutionnel. À la suite d’un coup d’état des élites féodales (7 janvier 1800), les seigneurs rétablissent leurs privilèges fiscaux, sans supprimer l’impôt révolutionnaire. Encore dans une agitation révolutionnaire, les paysans vaudois exprimèrent leur mécontentement contre le doublement de l’impôt d’une manière originale.
Paix aux hommes, guerre aux papiers
Contrairement à la Grande Peur en France, qui a précédé l’abolition des privilèges (20 juillet 1789 au 6 août 1789), les paysans vaudois n’ont pas essayé de tuer les seigneurs ou de détruire les châteaux. Ils ont formulé et pratiqué leur rébellion d’une manière plus rationnelle. En effet, tuer un seigneur n’abolit pas les privilèges, puisqu’un autre féodal peut venir reprendre ses droits. Par contre, toutes les taxes féodales se justifiaient par des chartes écrites, remontant souvent au Moyen-Âge. Afin que l’impôt du seigneur ne revienne plus, il suffit de brûler ses papiers. Les insurgés se sont organisés pour détruire les archives féodales, sans atteindre aux personnes et aux biens immobiliers (mais tout de même quelques incursions dans les caves à vins).
Ce livre d’Eugène Mottaz (1903) est encore le meilleur travail historique sur les Bourla-Papey. L’auteur, représentatif d’une société suisse beaucoup plus instruite que par exemple la France de l’époque, a été instituteur puis professeur d’histoire-géographie, et membre fondateur de la Société vaudoise d’histoire et d’archéologie. Son texte est constitué pour un tiers de citations d’archives d’époque, permettant de plonger dans les mots des élites, ainsi que parfois aussi, des paysans révoltés, rapportés par des témoignages. De sa modestie à l’égard de son sujet, il résulte que ce livre est surtout tissé de faits, beaucoup plus passionnants que des considérations politiques.
Cette insurrection devrait entrer dans l’imaginaire actif de tous les révoltés, afin d’élargir les idées d’actions. N’en vouloir qu’aux papiers a sans doute effrayé l’oligarchie d’alors. Elle se savait hors de son droit en voulant rétablir des impôts anciens sans supprimer les nouveaux, et elle ne pouvait pas accuser la révolte d’assassinats pour la réprimer dans le sang. L’alliance entre le peuple et les élites étaient rompue, un petit pays entouré de puissants voisins ne peut pas courir le risque de briser son contrat social. Il fallait retrouver les apparences d’une justice pour que la domination soit de nouveau acceptée, et que l’exploitation fiscale continue et s’approfondisse plus discrètement.
Dans un pays actuel mondialisé, par contre, cela ne pose aucun problème d’imposer des taxes sur le diesel aux pauvres, sous prétexte d’écologie, et de réprimer les manifestations avec des gaz et le harcèlement judiciaire. Les gilets jaunes français de 2019 n’ont pas trouvé leurs papiers à brûlés, et de toute façon n’aurait pas su coordonner une action froide, cette foule d’individus enragés ne faisait pas encore peuple.
Lisez les Bourla-Papey
Ce moment historique a aussi été le sujet d’un roman de Ramuz (1878, 1947) La Guerre aux Papiers (1942),